Simple déficit ou grosse désillusion ?
in : tageblatt 19 avril 2025
La récente étude du CEFIS (Centre d'étude et de formation interculturelles et sociales)
est consacrée à la participation des citoyens non - luxembourgeois aux élections communales. Malgré l’obligation de vote, 15% des inscrits - luxembourgeois et étrangers confondus - ne se sont pas déplacés le 11 juin 2023. Cela fait quand même 50 000 citoyens qui sont restés à la maison! En y ajoutant les votes nuls et blancs on en est à un cinquième des inscrits! L’étude du CEFIS nous apprend aussi que 202 380 citoyens sans passeport luxembourgeois, mais potentiels électeurs, ne se sont pas inscrits. Beaucoup, beaucoup trop de monde en simple spectateurs de la démocratie! Hélas, cela ne semble guère interpeller nos responsables politiques: selon la constitution ce sont eux qui représentent le peuple, parfois moins que la moitié du peuple communal. Légitimé constitutionnelle certes, mais légitimité politique très limitée!
Etranger à la vie communale
L’abolition de la condition de résidence de 5 ans laissait entrevoir une issue plus positive que la modeste augmentation par rapport au scrutin précédant. Le Luxembourg constitue sans doute une exception louable en finançant des campagnes de sensibilisation pour l’inscription sur les listes électorales. Je m’y suis investi aussi dans le temps.
Des projets associatifs sont financés par le Ministère de la Famille ce qui amènera l’une ou l’autre personne à s’y consacrer. L’étude du CEFIS fait état des nombreuses initiatives de sensibilisation. Mais pas de mobilisation générale des associations conventionnées, pas de campagnes d’affiches, pas d’approche systématique dans les lycées, discrétion élégante des partis politiques pour cacher leur adhésion du bout des lèvres et peu de candidats non -luxembourgeois.
Souvent la dite sensibilisation s’est concentrée, respectivement limitée, aux aspects techniques: comment s’inscrire, comment voter. Rarement il y a été question de politique dans le sens de ce que les élus peuvent faire pour leurs mandants. Certes, 100 communes correspondent à 100 situations différentes et les difficultés d’une sensibilisation consistent à en tenir compte.
A côté des compétences obligatoires des communes, les actions et projets potentiels sont légion et constituent l’enjeu du scrutin.
Encore faut-il savoir ce qui est possible et se fait par exemple déjà ailleurs:
• un bulletin communal et un site multilingues,
• un guide du citoyen multilingue,
• les débats du conseil communal transmis par internet,
• les plages horaires de consultation des élus - majorité et opposition,
• un conseil communal pour enfants,
• un conseil communal pour jeunes et une maison des jeunes,
• les logements communaux existants et à venir,
• les foyers pour réfugiés,
• les pistes cyclables,
• les terrains multisports,
• les crèches communales,
• les subsides communaux pour étudiants, pour l’installation de panneaux solaires, etc
• une bibliothèque scolaire multilingue élargie et ouverte au public,
• les cours de langue et les cafés des langues,
• un partenariat avec Fair-Trade et/ou Klimabündnis
• etc, etc.
En se limitant aux seuls aspects techniques de l’inscription et du vote, on considère les habitants comme des administrés plutôt que comme des citoyens.
Dire qu’en 2023 sur le site internet de certaines communes figurait encore la clause de 5 années de résidence!
Une proposition de sensibilisation sur mesure par commune sur de possibles champs d’action communaux avait fait long feu au sein du Zentrum fir politesch Bildung.
Changement de paradigme ou poussée vers la dépolitisation?
Ce que le gouvernement (précédent) avait appelé un changement de paradigme en passant d’“intégration“ à „vivre ensemble“ a eu pour conséquence la mise à mort des instances communales et nationale consultatives.
Celles-ci étaient de peu d’efficacité et ne répondaient guère à leurs obligations légales .
En effet le règlement grand ducal du 15 novembre 2011 stipulait que „l’avis de la commission (par ailleurs obligatoire), est demandé par le conseil communal sur:
– les mesures d’accueil et d’intégration dans la commune;
– la sensibilisation des étrangers en vue de leur participation aux élections communales;
– les règlements d’utilisation des infrastructures sportives et culturelles de la commune.“
En pratique, presque nulle part il y eut pareilles demandes du conseil communal. Mais plutôt que de rappeler aux communes leurs obligations et de remédier à cet oubli, le gouvernement a mis fin à ces commissions et à leurs compétences.
Avant leur mort, elles devaient „veiller à ce qu’une information systématique sur les travaux du conseil communal et de la commission soit distribuée périodiquement à tous les ménages, au moins en langues française et luxembourgeoise et/ou allemande“.
Comme me disait un bourgmestre, il y a une trentaine d’années: „Je ne vois pas l’intérêt d’une commission, une seule opposition au conseil communal me suffit.“
La nature ayant horreur du vide, le législateur promeut les „commissions communales du vivre ensemble“, sans compétences semblables à celles de leurs prédécesseurs, sans obligation de diffuser leurs travaux, ni de communiquer leurs activités au Ministère de tutelle. Impossible dès lors de savoir sur quoi travaillent les nouvelles commissions communales qui ont „pour mission d’assister la commune“ dans différentes tâches.
Même enterrement du Conseil National pour Etrangers, organe consultatif du gouvernement pour toutes les questions liées aux étrangers et à leur intégration et, comme phénix renaissant des cendres, surgit un Conseil Supérieur du Vivre Ensemble Interculturel.
Le Conseil Supérieur a pour tâche première de conseiller le Ministre de la Famille, d’identifier des priorités, de donner son avis sur le plan d’action national et de contribuer à promouvoir le vivre-ensemble interculturel, y compris la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination.
Lien direct donc avec un seul Ministre, consolidé par la présidence émanant du même Ministère, pas d’autonomie pour communiquer vers l’extérieur.
La nouvelle loi du vivre ensemble était précédée d’une très large consultation. La dépolitisation résulterait donc d’un consensus quasi unanime?
Dès lors, il ne reste que la Chambre des Salariés pour donner aussi une voix aux citoyens étrangers en faisant valoir leurs soucis légitimes.
Dès 1981 l’ASTI avait lancé le slogan „vivre, travailler et décider ensemble“. Vivre y figurait, décider aussi.
Pour le rétablissement du suffrage communal universel, il faudra l’inscription d’office sur les listes électorales de tous les résidents. La Sécurité Sociale est obligatoire aussi, n’est-ce pas?
A force de chasser le politique, on nourrit désintérêt et désillusion, terreau fertile pour le populisme de droite.
Serge Kollwelter
président de l’ASTI de 1979 à 2009
Kirchberg
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